Le projet PROPEX
N'avez-vous jamais eu de problème de réception de télévision, comme une image qui se brouille soudainement sans raison apparente ? Peut-être avez-vous même capté, l’espace d’un instant, une chaîne de télévision étrangère ou une station de radio venue d’un autre pays, sans comprendre comment cela a pu arriver. Ce phénomène mystérieux s’explique parfois par ce que l’on appelle les propagations radio exceptionnelles ou anormales. Il s’agit de conditions particulières de l’atmosphère qui permettent aux ondes radio de parcourir des distances bien plus grandes qu’en temps normal, contournant les obstacles et franchissant parfois des centaines, voire des milliers de kilomètres. Ces anomalies, bien que rares, fascinent autant les passionnés de radiocommunication que les simples curieux, tant elles révèlent les étonnantes propriétés de notre atmosphère.
Sommaire
- Définition
- Types de propagation
- Caractéristiques de la propagation des ondes
- Les différents types de conduits de la propagation des ondes
- Effets sur les communications
- Effets sur la réception de la TNT
- Modèle physique de l'ANFR pour la prévision des propagations exceptionnelles
- Utilisation de l'IA pour la prévision des propagations exceptionnelles
Qu'est-ce que les propagations anormales ?
Définition [retour au sommaire]
Le phénomène de propagations exceptionnelles désigne un phénomène où les ondes radio se propagent de manière inhabituelle, souvent sur des distances plus longues que prévu. Cela est dû à des conditions atmosphériques particulières qui sont particulièrement propices à la formation de conduits de propagation et aux couches de réflexion/réfraction sur les couches hautes de l’atmosphère. Sur des distances longues, à très longues (tenant donc compte de la sphéricité de la Terre), le comportement des pertes de ce type de propagation est plus proche de celui de l’espace libre que de celui d’une configuration de propagation dite normale.
Types de propagation [retour au sommaire]
La propagation d’un signal est souvent un phénomène compliqué, influencé par une très large variété de facteurs. Les différents mécanismes de propagation mis en jeux sur un chemin particulier sont donc répertoriés suivant leur probabilité d’apparition, on retrouve :
- Propagation normale : ligne de vue directe, diffraction sur le terrain, diffusion troposphérique, absorption par les gaz.
- Propagation anormale liée aux conditions climatiques et/ou météorologiques :
- Conduits au sol : signaux piégés entre des couches d'air, souvent au-dessus de la mer.
- Réfraction/réflexion : sur les couches supérieures de l'atmosphère, permettent de contourner les obstacles.
- Hydrométéores : atténuation ou diffusion causées par la pluie, le brouillard, etc.
- Couche E ionosphérique : phénomènes rares liés à la réflexion dans l'ionosphère.
La figure ci-dessous illustre ces éléments de propagation anormales
Figure 1 : illustration du phénomène de propagations anormales
Caractéristiques de la propagation des ondes [retour au sommaire]
Quand une onde radioélectrique traverse deux milieux différents, son parcours est déformé en fonction des indices de réfraction de deux milieux. Cette relation est définie selon la loi de Snell-Descartes :
Avec :
n1 et n2 : indices de réfraction de deux milieux
θ1 : angle incident
θ2 : angle réfracté
Dans l’air où se propage les ondes, la valeur de l’indice de réfraction de l’air n_air =1,0003.
Puisque n_air ne varie que de quelques unités de l’ordre de 104, il est convenu d’étudier le co-indice de réfraction (N) selon l’équation suivante :
L’UIT, à travers sa recommandation UIT-R P.453-13, a établi une relation entre le co-indice de réfraction d’air (N) et les paramètres météorologiques (température, pression et humidité) comme suit :
Avec :
P : Pression en hpa ou mbar (1hpa = 1mbar)
T : Température en K (0^° C = 273.15K)
H : Humidité relative en %
La propagation d’une onde électromagnétique au-dessus de la terre dépend du gradient vertical du co-indice de réfraction dN/dz (z étant la hauteur). L’évolution négative de ce facteur (dN/dz<0) a pour incidence de courber les ondes vers la terre.
En considérant la terre plate, on définit le co-indice de réfraction modifié M par la formule suivante :
M(z) = N(z) + 157 * z
Le tableau ci-dessous décrit les différentes valeurs du gradient des co-indices de réfraction auxquelles les phénomènes de propagation sont apparentés.
Condition | Gradient dN/dz (N/km) | Gradient dM/dz (M/km) |
---|---|---|
Propagation guidée (conduit de propagation) | <-157 | <0 |
Superréfraction | -157 à -79 | 0 à 79 |
Normal | -79 à 0 | 79 à 157 |
Standard | -39 | 118 |
Infraréfraction | >0 | >157 |
Tableau 1 : Type de propagation selon la valeur des gradients dN/dz et dM/dz
La figure ci-dessous illustre les différents cas de réfraction lors d’une propagation radioélectrique en fonction de l’indice de réfraction.

Figure 2 : Exemple de propagations selon les indices de réfraction
Le cas qui va nous intéresser dans ce projet est le cas de propagation guidée.
Pour aller plus loin dans la compréhension des phénomènes de propagations anormales, vous pouvez consulter le rapport de l’ANFR disponible à partir du lien ci-dessous
Les différents types de conduits de la propagation des ondes [retour au sommaire]
On distingue principalement trois types de conduit de propagation en fonction des valeurs du gradient dM/dz (évolution des valeurs M en hauteur z) :
Conduit de surface | Conduit en surface S-shaped | Conduit élevé |
---|---|---|
![]() | ![]() | ![]() |
![]() | ![]() | ![]() |
Le conduit se forme entre une couche d’air et le sol | Le conduit se forme entre une couche d’air et le sol | Le conduit se forme entre deux couches d’air élevées |
Figure 3 : Schémas explicatifs sur les types de propagation
Effets sur les communications [retour au sommaire]
Comme vu précédemment, les phénomènes de propagations exceptionnelles ont plusieurs conséquences sur les communications, qui sont principalement :
- Allongement de la portée des signaux radio (au-delà de la ligne de vue et donc au-delà de la zone prévue)
- Interférences entre stations distantes : la planification des fréquences d’un réseau de radiocommunications se base sur la réutilisation des fréquences à des distances où elles ne vont vraisemblablement pas se perturber l’une l’autre. Compte tenu du caractère limité du spectre des fréquences, ces distances de réutilisation sont inférieures aux distances qui sont atteintes par la propagation exceptionnelle
- Affaiblissement ou fluctuation des signaux
Effets sur la réception de la TNT [retour au sommaire]
La TNT (Télévision Numérique Terrestre) suit une planification de fréquences telle que décrite ci-dessus. Donc les phénomènes de propagations exceptionnelles ont tendance à perturber la réception de la TNT, car deux émetteurs, considérés comme compatibles au moment de la planification, donc pouvant utiliser la même fréquence, se retrouvent à se brouiller l’un l’autre. Ces phénomènes de propagation exceptionnelle sont le plus souvent observés au-dessus d’étendues d’eau ou dans les zones côtières à relief peu marqué.
Les perturbations sont amplifiées quand l'épisode de propagation exceptionnelle est de forte intensité.
L’apparition de ce type d'épisode entraîne une augmentation significative des réclamations reçues par l'ANFR via son centre d’appels et l’assistance en ligne dédiés :
Ce phénomène d’une grande ampleur a été enregistré en octobre 2023. Ci-dessous le graphique illustrant la volumétrie des appels des téléspectateurs.
Figure 4 : Exemple de pic d'appels lors d'une propagation exceptionnelle
Source : Données VigiSpectre
Parmi les sondes TNT développées par le département Radiodiffusion de l’ANFR, des sondes installées dans les locaux de l’ANFR à Brest, Le Portel, Nancy, Villejuif, Toulouse et Donges ont également détecté ce phénomène durant cette période. Ci-dessous la carte des sondes TNT installées :

Figure 5 : Relevé de sonde à Brest lors d'une propagation exceptionnelle durant le mois d'octobre 2023
Source : Sondes ANFR

Figure 6 : Relevé de sonde à Donges lors d'une propagation exceptionnelle durant le mois d'octobre 2023
Source : Sondes ANFR
Pour en savoir plus sur la protection de la TNT, rendez-vous sur recevoirlatnt.fr
Le projet PROPEX doit donc servir à prévoir ces phénomènes de forte intensité afin de pouvoir prévenir les risques qui en découlent et en informer la population.
Ce projet se base sur deux approches complémentaires pour la prévision :
- Modèle physique
- Modèle basé sur l’Intelligence Artificielle (IA)
Modèle physique de l'ANFR pour la prévision des propagations exceptionnelles [retour au sommaire]
C’est une approche physique se basant sur l’équation du co-indice de réfraction N en fonction de la pression, température et humidité établie plus haut. Un outil de prédiction de l’arrivée de ces phénomènes a été développé en langage « python ».
Principe de fonctionnement de cet outil :
Téléchargement 4 fois par jour des données météorologiques (température, pression et humidité) depuis un serveur public américain (NOAA - National Oceanic and Atmospheric Administration)
Evaluation des gradients de co-indice de réfraction dN/dz
Qualification du niveau de risque de la survenue d’une propagation anormale
Affichage du résultat de la prévision sur une carte comme ci-dessous :
Utilisation de l'IA pour la prévision des propagations exceptionnelles [retour au sommaire]
Le phénomène de propagations exceptionnelles est un phénomène contre lequel il est impossible de prendre des mesures autres que l'information des téléspectateurs et autres utilisateurs de liaisons radio.
Données utilisées pour l'entrainement des modèles
Pour entraîner des modèles, on s'appuie sur des données météo fournies par la National Oceanic and Atmospheric Administration (en abrégé NOAA), en français l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique.
Caractéristiques de ces données :
- Données météorologiques qui couvrent l'ensemble de la planète
- Précision des données de 0.25° de longitude et 0.25° de latitude
- Production de 4 prévisions quotidiennement
- Chaque prévision s'étend sur 384 heures
Pour l’entraînement de nos modèles, nous utilisons une multitude de variables :
- Température
- Humidité relative
- Vélocité absolue
- Altitude (niveau de pression, en millibars)
- Longitude
- Latitude
- Temps
- Propagation (variable binaire indiquant si l’observation correspond ou non à une propagation)
Pour donner une meilleure idée des données utilisées, la visualisation ci-dessous montre l’évolution de la température au cours d’un épisode de propagations exceptionnelles, selon les différentes couches d’altitude (en mb).
Les lignes verticales rouges indiquent le début et la fin de l’épisode de propagation exceptionnelle.

Figure 7 : Évolution de la température selon différentes couches d'altitude lors d'un épisode de propagation exceptionnelle
Source : Visualisation de données NOAA réalisée par le Datalab
Pour simplifier, notre problème consiste à classer des séries temporelles multivariées en deux classes (propagation et hors propagation) à chaque instant t. C’est cette tâche exigeante que nos modèles accomplissent.
Modèles utilisés
En utilisant les données recueillies par ces sondes, combinées aux données météo fournies par la NOAA, le Datalab a entraîné des modèles prédictifs reposant sur l'apprentissage machine pour prédire ce phénomène.
Modèle | Précision | AUC |
---|---|---|
GBC | 0.69 | 0.88 |
LR | 0.63 | 0.62 |
ETC | 0.75 | 0.86 |
LDA | 0.611 | 0.619 |
Tableau 2 : Meilleurs modèles obtenus
Modèles :
GBC : Gradient Boosting Classifier
LR : Linear Regression
ETC : Extra Trees Classifier
LDA : Linear Discriminant Analysis
Métriques :
Précision : indique, parmi toutes les instances que le modèle prédit comme positives, la proportion qui est réellement correcte.
AUC (Area Under the ROC Curve) : indicateur clé pour évaluer la capacité d’un modèle de classification binaire à distinguer la classe positive de la classe négative.
Ces résultats prometteurs ont été obtenus en utilisant seulement 13 épisodes de propagations exceptionnelles.
Déploiement du meilleur modèle
Pour détecter et prévoir les propagations exceptionnelles, nous avons déployé un modèle d’IA sur la zone cartographiée ci-dessous, identifiée comme à haut risque. Quatre fois par jour, ce modèle est alimenté par les données météorologiques les plus récentes et produit des prévisions pour les 48 heures suivantes.
La zone est découpée en "carrés" de 0.25° de longitude et 0.25° de latitude. Le résultat de l'alimentation des données météo au modèle est le suivant :
Perspectives
Dans l'objectif d'améliorer les résultats obtenus par l'approche IA, de nouvelles sources de données météo sont en cours d'exploitation.
Météo-France a fourni des données météorologiques d’archives pour l’entraînement des modèles, en substitution des données de la NOAA, à la demande de l’équipe en charge du projet.
Bibliographie
A 5-year 40-km resolution global climatology of super-refraction for ground-based radar meteorology